À la suite de l'enseignement dispensé en 2004/2005, les premières séances du séminaire ont été consacrées à un rappel de la situation théorique de l'ethnocritique dans le champ plus large des relations complexes qui lient littérature et sciences sociales. Dans le vaste mouvement historique et épistémologique de relecture des biens symboliques qui caractérise l'évolution des sciences humaines (histoire du quotidien et micro-histoire, sociologie des pratiques culturelles et ethnologie des sociétés du proche et du présent, etc.), l'anthropologie n'a cessé d'interroger le roman : le roman comme conservatoire des mœurs, le roman comme modèle scriptural et générique (la monographie) de l'écriture ethnographique puis comme repoussoir d'une science à la recherche d'une forme de légitimité institutionnelle, le roman dans la généalogie de la filiation mythe/conte/roman, le roman comme discours entrant dans la représentation qu'une société se donne d'elle-même, etc. Dans ce mouvement, l'ethnocritique, paradigme critique qui émerge dans le champ à la fin des années 80 occupe une place différente : articulant poétique des textes littéraires et ethnologie du symbolique, son objectif premier est de mettre en évidence dans les fictions littéraires la présence de traits culturels composites et leurs retraductions inventives (depuis la construction de chronotopes folkloriques jusqu'à la recomposition originale de structures rituelles). La présentation et définition de la démarche s'est faite à partir d'une lecture croisée des analyses proposées par D. Fabre, Y. Verdier et des textes fondateurs de l'ethnocritique (J.M. Privat, M. Scarpa).
Pour asseoir cette mise en place théorique, nous sommes passée ensuite à une série de lectures appliquées. Partant d'abord des attendus d'une lecture littéraire (en termes de narratologie notamment) d'une nouvelle " normande " de Maupassant, La mère Sauvage, nous avons complété l'approche en proposant une relecture ethnocritique du récit, qui a tourné principalement autour de la problématisation de la notion de " sauvagerie " et qui a permis de reprendre à nouveaux frais la construction du système des personnages (opposition braconnier/chasseur par exemple) et de l'espace textuel (à l'aide de catégories comme saltus / campus / domus). La seconde étude appliquée a été l'objet d'une conférence de J.M. Privat (Université de Metz-Celted, Lahic) : après avoir montré la fréquence des descriptions de rites (saisonniers, du cycle de vie, professionnels, etc.) dans L' Assommoir, il a proposé une typologisation de leurs dysfonctionnements (par excès, par défaut, par détournement, par désaccord, etc.). On aurait pu conclure au " malaise dans la civilisation " du roman ; pourtant, c'est dans cette boiterie même du rite que l'on peut trouver une forme de vérité : c'est tout le paradoxe (et l'intelligence) de l'anthropologie zolienne. Ces études ont été l'occasion d'un " retour sur la méthode " : on a précisé à chaque fois les phases constitutives d'une lecture ethnocritique (ethnographie du document, ethnologie du discours, ethnocritique du symbolique, auto- ethnologie du lecteur).
La dernière partie du cycle de conférences a exploré la question de l'initiation dans les récits littéraires. A partir d'une analyse comparée de deux personnages unis par un rapport intertextuel (Zola le dit explicitement : Marjolin dans Le Ventre de Paris est aux Halles ce que le Quasimodo de Victor Hugo est à Notre-Dame), nous avons tenté de construire anthropologiquement la catégorie de l'idiot romanesque : à l'aide des travaux de D. Fabre sur la " voie des oiseaux " et de G. Charutysur les " cloches ", entre autres, nous avons montré que ces deux personnages étaient des garçons dont l'initiation était inachevée. Ces réflexions ont été prolongées par une conférence de M.C. Vinson (IUFM de Lorraine, Celted) sur la comparaison que l'on pouvait faire - à partir de ce même rôle de l'oiseau dans les différents parcours d'enfants - entre l'éducation des garçons et celle des filles, dans deux récits pour la jeunesse (Ma Montagne de l'américaine J. George et Les petites filles modèles de la comtesse de Ségur). Enfin, et en manière d'élargissement conclusif, nous avons montré que nous pouvions appliquer ces analyses sur l'initiation du personnage à d'autres genres littéraires (c'est le poème de Rimbaud, "Ma Bohème", qui a été ici l'exemple privilégié) et à d'autres niveaux textuels : la question de l'initiation est associée à celle de rite de passage et la formalisation qu'en propose Van Gennep (séparation, marge, agrégation) peut être rapportée avec profit à l'étude de la structuration d'un récit littéraire (en production comme en réception). C'est le roman de Zola, Le Rêve, dont nous avons commenté la structuration d'ensemble et certaines des " frontières internes " (l'incipit et la fin du premier chapitre notamment) qui nous a fourni la matière de cette dernière analyse.