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Séminaire "Ethnocritique de la littérature" (EHESS, 2011-2012)

Séminaire "Ethnocritique de la littérature" (EHESS, 2011-2012)

Les premières séances ont poursuivi l’investigation de la littérature à la croisée de signes culturellement prédictifs ou plus généralement de systèmes de créances et de contraintes sémiotiques liées au(x) processus même de la narrativité et de la fiction.  

 

Jean-Marie Privat a repris son travail de cartographie des espaces discursifs (littéraires ou non) qui configurent des partages labiles et inscrivent des tensions significatives entre des univers de sens institutionnalisés (le dictionnaire et son positivisme descriptif, le conte et ses chemins attendus, la scène romanesque en son réalisme affiché) et des logiques de signifiance idéologique ou poétique qui font la part belle à la pensée sauvage de la langue. Cette civilisation de la littérature se lirait à la fois dans l’envahissante présence d’un imaginaire de la ligne (qui architecture toute écriture) et dans l’inscription des signes de la mort (toujours déjà là) comme symptôme d’une communication in absentia nostalgique d’une parole en face à face direct.

 

À partir de l'étude des divers systèmes de créances qui structurent Thérèse Raquin d'Émile Zola, Sophie Ménard (UQAM et Université de Lorraine - CREM) a mené une étude de cas qui montre l'hétérogénéité des savoirs à l_oeuvre dans un récit travaillé par la figure polysémique et polymorphe du revenant. L'articulation interdiscursive du texte sur la légende de « la rancune du premier mari », sur l'idiomatisme du « tirage des pieds » - vecteur narratif de la croyance au retour du mauvais mort - enfin sur tel adage proverbial reconfiguré par la narration  - « Homme mal marié, mieux le vaudrait noyé », dessine une focalisation hétérophonique autour des imaginaires folkloriques du mort jaloux du remariage de sa veuve, et de ses intersignes.

 

Marie-Christine Vinson (Université de Lorraine – CREM) a exposé de son côté comment les contes de La mère l’Oie de Ch. Perrault ont fait l’objet dans l’imagerie populaire du XIX° siècle d’une réappropriation fictionnelle et d’une recomposition narrative, à l’usage des enfants. Ce passage de la performance artisanale (W. Benjamin) et son halo mythique au récit imprimé, imagé et moralisé signe la suprématie moderne du monde l’écrit et la folklorisation du monde de l’oralité conteuse traditionnelle (et féminine).

 

La seconde partie du séminaire a été consacrée à deux incursions ethnocritiques sur le territoire de la littérature contemporaine. Astrid Bouygues (Paris III), accompagnée de Paul Fournel (écrivain, éditeur et président de l’OULIPO), a présenté un travail intitulé  « L’Oulipo ethnocritiqué » qui portait plus précisément sur le recueil collectif « C’est un métier d’homme » (Mille et nuits, 2010). Ce recueil est composé d’une série de réécritures engendrées à partir d’un texte initial « Autoportrait du descendeur » (Paul Fournel). Ces « exercices de style » relèvent d’une écriture à contraintes fortes, « trajectoires anthropologiques » qui ne cessent de poser la question des relations entre la norme (l’individu ordinaire) et l’exception (le champion), les idiolectes et les technolectes ou sociolectes et donc de la dialogie voire de la polylogie culturelle : il ne saurait y avoir jeu(x) dans la langue que dans des cosmologies partagées.

 

Alice Delmotte (Université de Lorraine, CREM), quant à elle, aborde l’une des dernières oeuvres (bio-narratives ?) d’Hélène CixousOsnabrück (1999). Il s’agit pour la fille, Hélène, d’écrire la/sa mère, Eve, et de rétablir le lien (affectif, historique, mémoriel), ce qu’elle tente par le biais d’une homologie entre écriture (la fille) et cuisine (la mère). Pour l’étudier, AD part du fameux triangle culinaire lévi-straussien et des modalités du préparer/ cuisiner/manger (cru/cuit/pourri) auquel elle propose de substituer une réflexion sur l’échange et le partage alimentaires (associés comme on sait aux questions d’alliance et de filiation).

 

C’est au dernier texte publié du vivant de Flaubert – Trois contes – que Marie Scarpa a consacré cette année plusieurs séances. L’étude a commencé par le questionnement ethnocritique de l’étiquette générique « conte » dans sa relation à d’autres types de récits courts comme la nouvelle et la légende. Au cœur d’une anthropologie des genres narratifs, se pose ne effet la question du personnage et de ses relations à son/ses groupe(s) et son/ses dieu(x) : précisément MS propose de relire la « sainteté » des héros (saint Julien l’Hospitalier, saint Jean-Baptiste et Félicité l’humble servante normande construite en sainte laïque) comme « liminarité ». Personnages des seuils et des frontières, ne « passant » pas eux-mêmes, les saints ensauvagés et la vieille fille sont préposés (statutairement et fonctionnellement) aux passages et à l’advenue… d’autrui.  Ainsi Félicité dont la critique ne cesse de dire l’enfermement géographique et mental est bien plutôt une figure du « faire passer » et du déplacement  (qui va jusqu’à l’exotisation du proche –  cf. le perroquet amazone Loulou). Mais, esthétique réaliste oblige (et loin du portrait assez « lisse » qu’on fait d’elle habituellement), sa (mes-)interprétation des signes du destin (à défaut de Destin) ne la place pas tant du côté de la vie que de celui de la mort (et des morts).

Date de début
Date de fin