L'ethnocritique est une démarche d'analyse des textes littéraires. Ce type de critique articule une poétique de la littérature et une ethnologie du symbolique. Elle s'inscrit plus généralement dans un vaste mouvement historique et épistémologique de relecture des biens symboliques : histoire du quotidien et micro-histoire, sociologie des pratiques culturelles et ethnologie de l'Europe, génétique des textes et dynamique des genres, polyphonie langagière et dialogisme culturel, etc.
L'ethnocritique est une auto-ethnologie -anthropology at home- dans la mesure où elle présuppose qu'il y a non seulement du même chez l'autre mais aussi « de l'autre dans le même » (Augé, 1989: 19-33), quand bien même on éprouverait « une répugnance singulière à penser la différence, à décrire des écarts et des dispersions, à dissocier la forme rassurante de l'identique […]. » (Foucault, 1969). Elle fait sien ce double postulat ethnologique et se trouve ainsi conduite à s'intéresser aux tensions et interactions entre traits culturels hétérogènes dans la mesure où -contrairement à la doxa académique- l'unité, l'originalité et a fortiori la qualité de l'œuvre ne présuppose pas nécessairement l'unicité de ses référents culturels ni même leur homogénéité.
L'ethnocritique est née du croisement des recherches d’anthropologie historique de la littérature (Jean-Pierre Vernant et Jacques Le Goff), des travaux sémio-linguistiques de Mikhaïl Bakhtine, de la sociocritique (Claude Duchet, Henri Mitterand) et des travaux des ethnologues du symbolique, Yvonne Verdier et Daniel Fabre en particulier pour le domaine des écrits littéraires.
D'une part, à l'intérieur d'une tradition formaliste et en partie contre elle, M. Bakhtine et son École (Todorov, 1981) ont en effet voulu montrer les marques de la différenciation culturelle dans l'organisation formelle et les configurations thématiques des œuvres. Dans la même perspective, l'ethnocritique se propose de mettre en évidence les stratifications plus ou moins conflictuelles des sub-cultures - l’intraculturel - et leurs retraductions stylistiques et sémantiques dans les élaborations fictionnelles, de la « re-création à la simulation folklorisante » (Chamboredon, 1986). L'ethnocritique analyse ce « feuilletage » de l'œuvre avec des concepts narratologiques comme ceux de dialogisme, de polyphonie et d’intertextualité dont elle fait son propre usage, mais aussi en construisant des concepts spécifiques (homologie rite / récit, belligérance oralité / littératie, ethnogénétique, chronotopie culturelle, logogenèse, etc).
D'autre part, si « toute culture peut être considérée comme un ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, l'art, la religion […] », « systèmes incommensurables […] et irréductibles entre eux » (Lévi-Strauss, 1950), la posture de l'ethnocriticien se rapproche de celle que M. Mauss assignait à l'ethnologue, « astronome des constellations humaines » (Lévi-Strauss, 1950). Cette cartographie des cultures et de leurs dénivellations internes introduit en fait à la poétique spécifique des œuvres, le texte littéraire étant conçu par l'ethnologue du symbolique comme un original « filet de relations » et une « mosaïque d'images » (Verdier, 1995).
Le poète imagine en son langage le même miroitement culturel : « les nuages sont dans les rivières, les torrents parcourent le ciel », « les pluies sauvages favorisent les passants profonds » ; bref, « l'imaginaire n'est pas pur ; il ne fait qu'aller. » (Char, 1987).
Encore convient-il de combiner une réelle culture ethnologique et une lecture interprétative qui se garde de « détextualiser » l'univers de la fiction ; il faut en effet éviter toute dérive ethnologiste « qui laisserait échapper ce que le récit doit à la réinterprétation que son auteur fait subir aux éléments primaires. Les éléments mythico-rituels, par exemple, ne se comprennent pas seulement par référence au système qu'ils constituent […]; ils ne sont en aucun cas réductibles à de simples éléments d'information ethnographique mais réélaborés, recevant un nouveau sens dans le système de relations constitutif de l'œuvre » (Bourdieu, 1987).
C'est ainsi que l'ethnocritique exclut à la fois la description micro-folklorisante (qui se réduirait à la collecte de détails réputés vestiges d'une culture passée et dépassée) et la structuration macro-ethnologisante qui consisterait simplement à repérer dans le roman les grands thèmes de prédilection de la discipline ethnologique de référence (système de parentés, classe d'âge, rituels sociaux, techniques du corps, conduites superstitieuses, etc.).
Ces derniers principes théoriques et heuristiques posent une double question :