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La colère du temps

La colère du temps

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28 novembre 2018
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S’il est un consensus linguistique dans le dissensus politique c’est l’usage ad nauseam du mot « colère » dans le discours politico-médiatique [ou commun] pour décrire ou décrier, qualifier ou disqualifier les actuelles revendications des gilets jaunes : 

  • - « À Paris, la colère des Gilets jaunes éclipsée par la violence des casseurs1 »
  • - « La colère des gilets jaunes déborde sur l’autoroute2 »
  • - « Gilets jaunes, le cœur chaud et la colère encore vive à Limoges3 » 
  • - ad libitum…

Les résonnances dialogiques que j’entends dans cet air de la « colère » sont troublantes. Ladite colère y est saisie comme une sorte de substance humorale essentielle qui ne saurait être qualifiée autrement que de… colère. La colère déborde, s’éclipse, se ravive. Cette agentivité propre à la colère serait un mythème en quelque façon dont la doxa discursive jubilerait en toute circonstance langagière. Point toutefois – me semble-t-il à ce jour – de colère aveugle, blanche, froide, intérieure, rentrée, etc.

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Légende / Crédits

Antony Paone / Reuters
 

 

Non, pas même une grosse colère. La colère vous dis-je : 

ARGAN
Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux.

TOINETTE
Le poumon.

ARGAN
J'ai quelquefois des maux de cœur.

TOINETTE
Le poumon.

ARGAN
Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.

TOINETTE
Le poumon.

[…] 

TOINETTE
Il vous prend un petit sommeil après le repas ?

ARGAN
Oui, monsieur.

TOINETTE
Le poumon, le poumon, vous dis-je. (Molière, Le Malade imaginaire, III, 10.)

 

     Ainsi, le temps de la colère s’emparerait des gilets, si j’ose la formule. Les gilets en col errent ? En toute hypothèse, les émotions populaires existent [la grogne paraît-il] mais si j’en crois notre placide TLFi, colère s’entend en tout premier lieu comme une « vive émotion de l'âme se traduisant par une violente réaction physique et psychique. » Rien n’est perdu, le petit peuple aurait une (petite) âme. Mais une âme chagrine, instable, active & surtout réactive4.  Le petit peuple aurait ses jours de colère comme les mauvais bougres de l’Ancien Testament, comme chiens en colèrecave populum – ou la colère des flots et du vent.

En quelque façon si le [petit] peuple est en colère c’est qu’il est naturellement enclin à colère, colérique en un mot, non ?  

  • [En parlant de personne] Femme, fille, homme, population colérique. Ma mère, grosse, dévote et colérique (A. Arnoux, Le Seigneur de l'heure, 1955).
  • Emploi substantivé. CARACTÉROLOGIE [Dans la classification de Heymans-Le Senne] Colérique désigne un type de caractère dont la formule est EAP (Émotif  Actif  Primaire). 

 

      Air connu : la femme, la folle, l’enfant, le sauvage, le (petit) peuple : « Elle y alla, mais toujours en grondant […] — Est-ce que je suis ici venue, lui dit cette brutale orgueilleuse, pour vous donner à boire ! buvez à même si vous voulez. — Vous n’êtes guère honnête, reprit la Fée, sans se mettre en colère. Eh bien ! je vous donne pour don qu’à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent, ou un crapaud. » (Les Fées, Perrault, le père.)

     En somme, notre/votre colère, dit & redit, « c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». Ce sera distillé / dit stylé ici - la prochaine fois. C’est une longue histoire les ‘laissés’ pour conte/compte. Ne vous faites pas de bile (noire… ou jaune). Calma / Be cool /  Patience en rond [.]. 

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Pour citer

Pour citer

Privat, Jean-Marie, 2018, "La colère du temps", priv@public, carnet de recherche, en ligne sur le site Ethnocritique : http//ethnocritique.com/fr/entree-de-carnet/la-colere-du-temps

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